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Les grandes transformations du pastoralisme méditerranéen

Alain Bourbouze Professeur émérite du CIHEAM CIHEAM Montpellier Le pastoralisme, un mode de subsistance et un mode d’exploitation du milieu Pratiqué par des populations vivant sur les parcours et exploitant des troupeaux d’herbivores domestiques, le pastoralisme est une activité agricole de production, une forme d'élevage extensif, qui suppose un rapport étroit entre l'espace pastoral, les hommes qui y vivent et les troupeaux qu'ils exploitent. Quelles que soient les régions du monde le concernant, les animaux conduits sur un mode extensif utilisent les ressources de la végétation naturelle, mais aussi d’autres ressources, fourrages ou aliments concentrés, associées à ce système alimentaire dominant. Le principe économique est donc de transformer en viande et en lait, à très faible coût, la biomasse végétale riche en cellulose. Pour justifier le qualificatif de «pastoral », on signifie donc que (i) les ressources pastorales, sansêtre exclusives, dictent l’organisation des unités de production (déplacements des troupeaux, répartition du travail, type d'habitat…) et que (ii) l’élevage reste économiquement et culturellement dominant, bien que d’autres activités (agricoles ou non agricoles) s’ajoutent aux productions animales. Si les éleveurs/pasteurs restent soumis aux impératifs de l'économie, le pastoralisme ne peut cependant être réduit à un système de production jugé sur ses seules performances technico-économiques. C'est d'abord un fait culturel héritier d’une longue tradition, un mode de vie où hommes et femmes, propriétaires et bergers, sédentaires et nomades, tissent des relations humaines complexes. Le berger, dont l'image est si souvent dévalorisée, mène une activité qui est autant un métier qu'un mode de vie. Il est, au coeur de ce système, le détenteur de savoirs multiples : conduite des animaux (soins, reproduction, performances), connaissance de l'écosystème pastoral (végétation, sols), maîtrise de l'espace social (usages, déplacements, gestion des conflits). Le pastoralisme est donc une adaptation à des régions à fortes contraintes climatiques et topographiques où les mises en culture sont difficiles ou impossibles. Classiquement on distingue le pastoralisme des régions humides/froides, du pastoralisme montagnard et/ou du pastoralisme des régions chaudes/arides comme en Méditerranée où il s'inscrit dans des systèmes agraires issus d'une histoire pluri millénaire et revêt des formes variées : pastoralisme stricto sensu de plus en plus rare, agropastoralisme qui se généralise partout où les labours sont possibles et sylvopastoralisme propre aux régions de montagne couvertes de forêt. Les espèces animales, les hommes et l'histoire Mais avant de parler des hommes et de leurs pratiques, il nous faut d'abord présenter les animaux. Aux quatre coins de la Méditerranée, les races que l'on rencontre pour chacune des espèces domestiquées, ne sont pas le fruit du hasard mais ont été façonnées par des hommes qui, immergés dans un contexte aux multiples contraintes, ont su mobiliser petit à petit leurs moyens et leur savoir-faire. L'influence des particularismes régionaux, du compartimentage géographique propre aux régions méditerranéennes (plaines côtières étroites, marécages insalubres, îles, bassins enclavés...), des migrations humaines, du commerce terrestre et maritime, tout cela va favoriser la constitution d'isolats génétiques et la fixation de caractères spécifiques de très nombreuses races locales qui présentent ainsi un exceptionnel réservoir génétique comparé au reste du monde. Ovins et caprinsqui furent parmi les premiers animaux à avoir été domestiqués se propagent rapidement vers l'Europe et l'Ouest de la Méditerranée (les Romains

exploiteront les ovins sur une grande échelle notamment en Africa, la première province romaine d'Afrique). Au cours des siècles qui suivront, brebis et chèvres vont s'intégrer à un système agro-sylvo-pastoral, apportant aux familles le lait, la laine, la viande, et l'indispensable fumure transférée vers les terres céréalières. Trois types de systèmes d'élevage utilisateurs des parcours s'imposent dans le paysage méditerranéen : (i) des élevages pastoraux sédentaires utilisant en permanence des surfaces pastorales, (ii) des élevages nomades, semi nomades et transhumants exploitant des espaces complémentaires en montagne ou en steppe, (iii) des élevages agro pastoraux liés au calendrier agricole (chaumes l'été, paille, jachères et parcours le reste de l'année). Les races ovines se partagent en 5 groupes principaux, (i) les races à queue grasse venues d'Asie Mineure (Awassi turque, Barbarine de Tunisie) maintenant en perte de vitesse car elles ne correspondent plus aux goûts des consommateurs car trop grasses, (ii) les races montagnardes Zackel d'Europe Centrale à laine grossière qui sont venues coloniser les Balkans (Ruda d'Albanie), (iii) les brebis blanches à laine fine de l'arc latin nord (Espagne, France, Italie) en combinaison avec les Mérinos (Lacaune, Manchega, Sopravissana...), (iv) les populations très rustiques à laine grossière de la Méditerranée occidentale (la race Corse, la Churra espagnole, les races marocaines (Timhadit, Beni Guil...), les races algériennes (Hamra, Ouled Djellal...)), (v) les races prolifiques en systèmes familiaux intensifs. Dès les temps les plus anciens, le Sud méditerranéen ne va exploiter que des races à viande (exception faite de la Sicilo-sarde tunisienne amenée au 19ème siècle par les Italiens), tantôt pastorales, tantôt agricoles, mais qui présentent toutes d'excellentes qualité d'adaptation (résistance à la chaleur, capacité à se déplacer et à pâturer des parcours pauvres, résistance aux maladies transmises par les tiques...). Ces races ovines locales ne sauraient supporter des croisements intempestifs. Par contre, dans les pays de la côte Nord et de l'Est méditerranéen aux climats plus cléments, les races locales exprimeront de meilleures performances tantôt en systèmes spécialisés pour la viande, tantôt pour le lait. Dans ce dernier cas, on observera une évolution spectaculaire vers des races sophistiquées, lourdes et productives (Churra, Manchega, Lacaune, Sarde...) Chez les caprins, le constat est proche : races très rustiques au Sud, de types variés, souvent cantonnées dans les milieux forestiers, les steppes arides et les régions montagneuses, souvent associées aux ovins, principalement orientées vers la production de chevreaux, peu de lait rarement transformé en fromage (jben). Mais au Nord et à l'Est, hormis quelques chèvres à viande, les races sont mixtes ou laitières. Au XXème siècle, la France va développer une filière hautement spécialisée et particulièrement intensive en ne s'appuyant que sur une seule race, l'Alpine. Les chèvres sont alors franchement laitières à destination exclusivement fromagère, en production fermière ou industrielle. Les races locales du Nord tendent donc à se métisser ou à disparaître, exception faite des Balkans, de la Grèce et de la Turquie. Les bovins, qui sont moins bien adaptés à la médiocrité des pacages méditerranéens et ne supportent pas de trop longs déplacements, sont en général associés aux espaces agricoles ou agro-pastoraux. On trouve de très nombreuses races locales qui sont de trois origines : le rameau rouge des races des Pyrénées et d'Andalousie de type mixte (lait et viande) et rustiques (Retinta), le rameau brun sur le pourtour méditerranéen (Balkans, Sardaigne, Alpes avec la Brune des Alpes, la Brune de l'Atlas et dans le Sud de la France Aubrac et Tarentaise, et le rameau ibérique avec des races très rustiques (la Brava des corrida). Toutes ces races locales seront cependant menacées de disparition par l'arrivée massive de races importées à partir du milieu du XIXème siècle. Au Maghreb, la mutation sera encore plus spectaculaire avec l'arrivée massive des importations de bovins de type laitier (Pie Noire essentiellement) qui seront le vecteur d'une véritable révolution du secteur laitier...mais induisant un métissage incontrôlable des bovins de race locale jusque dans les parcours les plus difficiles. Deux images très contrastées au nord et au sud de la Méditerranée Certes le climat qui n'est pas le même au Nord et au Sud de la Méditerranéeinduit de fortes différences, mais elles ne s'arrêtent pas là et portent aussi sur deux points

 majeurs, (i) la pression démographique et (ii) l'impact des aides de l'Etat aux régions difficiles. Dans les pays de la rive nord --la sous-exploitation des ressources, la déprise agricole et l’enfrichement ont provoqué une forte régression du pastoralisme, mais fort heureusement depuis une quarantaine d'années (loi Montagne de 1972 sur la mise en valeur pastorale et création de l'ISM) une prise de conscience tardive des fonctions qu'il assume : fonction économique mettant sur le marché viande et produits laitiers en cherchant à développer des signes officiels de qualité (AOP, AOC, IGP), fonction environnementale (prévention des risques et des incendies, biodiversité), fonction paysagère, culturelle et touristique qui souligne le poids du patrimoine culturel lié aux activités pastorales. Dans les pays de l'Union Européenne, c'est la reconnaissance des «externalités positives » de cet élevage pastoral qui justifie à présent l'importance des aides, qui peuvent atteindre 80 % du revenu agricole sur parcours méditerranéen ! C'est à ce prix que la Politique Agricole Commune a conforté le pastoralisme qui était menacé de disparition : amélioration des parcours (débroussaillements), équipements (clôtures, cabanes de berger, points d'eau, accès, parcs de tri), introduction de chiens de défense pour lutter contre les prédateurs. Les innovations ont porté aussi sur la mise en place d'outils juridiques novateurs (AssociationFoncière Pastorale, Groupement Pastoraux), de gîtes, la gestion multi-usage des espaces naturels intégrant éleveurs, forestier, chasseurs, promeneurs, défenseurs du patrimoine. Le rôle des politiques publiques et des aides qu'elles ont apportées, ainsi que leur cohérence dans la coordination (Etat, UE, collectivités territoriales, Parcs) a été déterminant, avec un taux de réussite variable d'un pays européen à l'autre. Tous ces points sont bien connus et bien documentés. Dans les pays du Maghreb et du Machrek qui sont confrontés à des populations en croissance jusque dans les régions les plus reculées et qui doivent faire face à la surexploitation des ressources et aux risques de désertification, les systèmes pastoraux et agropastoraux connaissent de profondes transformations. Comparé à la rive nord, le pastoralisme de ces régions est marqué par la mobilité des troupeaux et des hommes, la persistance de la vie sous la tente (la khaïma, la guitoun), et la montée en puissance des transports mécanisés (camion) qui facilitent les déplacements et assurent l'abreuvement estival des animaux tant dans les régions montagnardes que dans cet énorme ensemble steppique qui va de l'Oriental marocain à la Badia syrienne ("l'autre Méditerranée" selon Braudel). Le mode de vie familial et la conduite des troupeaux se déconnectent et s'organisent autrement (partage des familles en unités spécialisées, recours à des bergers salariés, troupeaux «de mélange» khlata ) pour se plier à la sédentarisation qui s'est généralisée. La persistance de vastes territoires à usage collectif où s'applique le droit coutumier (l'appartenance au groupe - tribu, fractionouvre le droit au pâturage) s 'accompagne de très nombreux conflits d'usage. La montée en puissance d’une classe de grands éleveurs, les kbir, innovateurs mais pas toujours scrupuleux, déstabilise la gestion sociale des ressources (eau et herbe). Tous ces changements, auxquels s'ajoutent les mutations du statut foncier sur l’espace pâturé par le passage du collectif au privé, conduisent à une nouvelle manière de faire de l’élevage nettement plus performante que par le passé, mais plus individualiste et plus inégalitaire. Les apports de la céréaliculture après défrichement se combinent maintenant à une généralisation de l'apport d'aliments complémentaires sur parcours qu’il faut replacer dans le cadre d’une stratégie anti-risques différente du passé. Les pasteurs méditerranéens du Sud et de l'Est, que les politiques nationales aident peu en dehors des plans de sauvegarde en cas de sécheresse, tentent d'assurer à présent la durabilité de leur système par le recours à l'association élevage/agriculture en sec ou en irrigué (pompage), et par des revenus non agricoles tirés de l'émigration, du commerce ou d'autres petits métiers. Des enjeux contrastés, des problématiques communes Mais si les différences sont évidentes, il faut aussi souligner les parallèles et les problématiques communes. Une «range science» commune Née aux Etats Unis après les drames écologiques des années 1880-90 dus au surpâturage, la science pastorale (« range science») est bien sûr commune aux pastoralistes de tous les pays. A eux d’en faire bon usage en l’adaptant aux différents contextes. Très tôt les pastoralistes ont compris la nécessité de nouer des

alliances avec les sciences économiques, humaines et sociales, mais aussi en intégrant des approches écologiques et ethologiques. Dans ces jeux d’alliance, il faut aussi savoir conjuguer différentes temporalités : par exemple le temps court de l’écologie animale avec le temps long de l’agro-écologie, mais aussi les temps de l’économie avec les temps des bio-écosystèmes et celui des dynamiques sociales. Il s'agit aussi de remettre au centre le rôle des hommes et de leurs pratiques (apprentissages, mise en parcs, choix des circuits, gestion spatiale de la diversité…), autrement dit leur inscription dans une problématique de gestion. Ces pratiques relèvent en effet de connaissances patiemment acquises au fil des générations d'éleveurs, pour la plupart empiriques et assez disjointes du corpus de la "range science" classique. On privilégie ainsi un point de vue éco-zootechnique, permettant d'informer les liens homme– troupeau–ressources dans une perspective plus constructiviste et visant à "renaturaliser" l'animal d'élevage (voir Meuret 2010, "un savoir-fairede bergers"). Le nouveau paradigme pastoral Depuis une quinzaine d'année, les agences internationales de développement et les bailleurs de fonds (FAO, PNUD, FIDA…), grands consommateurs de concepts font grand cas d'un "nouveau paradigme pastoral". Soulignant que tous les modèles prédictifs de l’évolution de la végétation pastorale sur le long terme se sont révélés faux, ils soutiennent qu’en milieu à fortes contraintes on a sous-estimé le haut degré d’adaptation des unités de production dites traditionnelles à leur écosystème et la forte résilience de ces derniers. Ainsi les concepts de capacité de charge ou de productivité/ha conviennent mal à la maîtrise d’un écosystème soumis à de très fortes variations pluviométriques inter annuelles. L’éleveur sur parcours, grâce a son excellente connaissance de son milieu (au sens large, économique, écologique et social), fait en toutes circonstances les moinsmauvais choix. Souvent confronté à un problème de survie et de durabilité de son outil de travail, l’éleveur pastoral adopte des stratégies qui doivent intégrer le temps court et le temps long et obligent à des compromis. Son comportement économique, jugésur le temps long, est en vérité aussi rationnel que celui de ses collègues des pays développés, utilisateurs de prairies cultivées ou propriétaires de ranch. Mobilité et sédentarisation, transhumance et biodiversité («managing mobility») On s’aperçoit à présent, après avoir suivi l’évolution des écosystèmes des milieux arides sur plusieurs décennies, que le bétail n’est pas le seul ni le plus important facteur de désertification, et que l’irrégularité des pluies d’une part et la collecte de bois de feu et de broussailles d’autre part, sont autrement plus graves. Ajoutée au problème politique lié à la difficulté de contrôler les nomades, cette controverse sur le surpâturage a été à l’origine des politiques de sédentarisation forcée. Pour bien des responsables politiques, le nomadisme et les troupeaux mobiles étaient condamnés à disparaître. Sur le long terme, ces politiques de sédentarisation des familles ont eu un certain succès dans de nombreux pays, car la scolarisation des enfants, le rapprochement des services de santé, l’électrification, la mise en valeur agricole sur des parcelles appropriées ont été des aimants puissants…et légitimes. On voit ainsi émerger dans toutes les sociétés pastorales à travers le monde un puissant mouvement de sédentarisation qui n’est cependant pas incompatible avec la mobilité des troupeaux car le mode de vie familial et le mode de conduite du troupeau peuvent s’organiser sur des plans différents. La motorisation du pastoralisme, qui introduit un nouveau rapport à l’espace, s’installe partout à des degrés très différents. Un point important qui fait débat est de démontrer que la mobilité du bétail est le meilleur outil de la conservation de la biodiversité. Certains grands projets d’agences internationales (Tunisie, Maroc) viennent de se construire sur ce postulat de « la relance de la transhumance en vue de conserver la biodiversité». Ces projets s’appuient sur la création d’associations pastorales en charge de la gestion des déplacements et de l’aménagement des parcours (mises en défens, points d’eau…), mais aussi sur la formation (« le renforcement des capacités » en langage PNUD) des chefs coutumiers, des personnels des services techniques et de l’administration locale encore peu familiarisés avec ce concept de biodiversité. En France, nous avons vu l’intérêt de « la maîtrise par le pâturage

 d’une dynamique de communauté végétale complexe, constitutive d’habitats naturels à restaurer » (Meuret, supra). A cet effet, dans le cadre de la PAC et de la Directive Habitats Faune Flore, des cahiers des charges sont établis, des contrats sont passés avec les éleveurs de tous les pays européens concernés, étroitement encadrés et contrôlés. La gestion des risques L’adaptation aux risques climatiques est un élément essentiel de la stratégie des éleveurs sur parcours, mais les formules adoptées ne sont plus les mêmes que par le passé et s’appuient sur une large combinaison de moyens. Pour s’affranchir de l’aléa climatique, et de l’aléa économique qui l’accompagne, il faut donc recourir à des actions qui prennent effet à court terme (curatives) et à long terme (préventives). Pour les sociétés pastorales des régions arides, parmi toutes ces options, certaines n’assurent qu’une protection relative, comme par exemple les formes actuelles d’organisation collective, les nouveaux modes de mobilité, la constitution de stocks alimentaires. Mais c’est peu de chose en regard des quatre armes anti-risques réellement efficaces : (i) l’association agriculture-élevage, (ii) les compléments alimentaires achetés par le biais des ventes d’animaux, (iii) les ressources tirées des activités extérieures et de l’émigration, et (iv) l’arme absolue, quand on peut y avoir recours, l’agriculture irriguée sur pompages. L’Etat sait aussi intervenir, mais à des degrés variables selon sa puissance et son niveau d’organisation. Quand la sécheresse sévit en France dans l’été 2003, touchant alors les éleveurs sur prairies cultivées nettement plus que les éleveurs pastoralistes, les organisations professionnelles saisissent rapidement les services du Ministère qui, dès août 2003, mettent en place un dispositif d’aides très complet: fonds de calamité, aides au transport (350.000 tonnes de paille), aides financières, report fiscal, avances sur primes, etc. Au Maghreb, les organisations professionnelles, trop proches des pouvoirs et mal représentées, sont bien moins réactives et les “plans sécheresse” (aides au transport et céréales subventionnées) mettent beaucoup de temps à se mettre en place. Autre risque à gérer celui des prédateurs. Au Maghreb la présence du chacal interfère dans toute l'organisation pastorale (pas de pâturage nocturne, construction d'azib,) mais sa présence ne fait pas débat. En France l’arrivée du loup et son expansion dans tous les massifs introduit un nouveau risque « structurel » qui change en profondeur la donne pour les systèmes d’élevage concernés. Après des années de polémiques (le loup est arrivé en 1992) entretenues dans un climat détestable, on s'achemine lentement vers une gestion plus consensuelle qui devrait mêler mesures de protection du loup et autorisations des tirs de défense ou de piégeage à proximité des troupeaux attaqués accordées aux éleveurs. L’émergence des signes officiels de qualité sur les produits Le processus est largement engagé en Europe, par exemple en France où les filières d’élevage mettent à présent sur le marché des produits dont les signes officiels de qualité privilégient les particularismes régionaux et le caractère pastoral (l’agneau de Sisteron, les fromages de Banon, de Beaufort ou de Laguiole par exemple…). Les produits « labels » (ex. AOC) ont été conçus pour permettre une création locale de valeur ajoutée (donc aussi d’emplois) par renforcement de la « typicité». Parmi les signes de qualité, le pâturage est aux avant-postes, notamment en collines ou en montagnes, car associé à des paysages souvent grandioses et à des animaux en excellente santé. Toutefois, des cahiers des charges se limitent parfois à imposer l’usage de « fourrages produits localement », sans plus de spécification, ni quant aux conditions de leur production, ni s’il s’agit de les faire pâturer ou distribuer en bâtiment. Y aurait-il abus ? Sur l’affiche du produit certifié, figure certes un troupeau très visible en pleine nature… mais en réalité fréquemment confiné à l’étable mise à part une sortie réglementaire quotidienne sur une «aire de détente» à l’extérieur. Une "pastoralité" symbolique en quelque sorte. Il est ainsi de plus en plus fréquent que des syndicats de producteurs, en raison de la cohérence à tenir vis-à-vis des consommateurs, mais aussi vis-à-vis de l’idée qu’ils se font de leur éthique professionnelle, visent à présent à réinvestir les pâturages, et notamment sur milieux naturels diversifiés… «Comme sur notre affiche», disent-ils. Ceci est un champ de recherche encore peu exploré: au-delà des « terroirs », de leurs flores particulières et de leurs

races animales attitrées. Quelle est l’incidence des pratiques pastorales sur la qualité des produits ? Ailleurs, au Sud de la Méditerranée l’idée tente de s’imposer mais beaucoup reste à faire. La remarque la plus couramment reprise est de penser que les produits animaux issus du parcours étant naturellement «biologiques », il suffirait de peu de choses (un label, une étiquette) pour mieux vendre. Rien n’est moins sûr car tout le cadre législatif et de contrôle est encore à construire. Conclusions Les sociétés pastorales peuvent sembler parfois archaïques, mais elles n’en sont pas pour autant anachroniques ! Bien sûr, on peut mettre en relief les oppositions flagrantes entre pays à fort développement et pays moins développés en soulignant les différents enjeux selon les contextes : lutter contre les incendies, protéger la biodiversité et entretenir les paysages, produire de la qualité…et sous d’autres cieux assurer la survie des plus pauvres, régler les conflits, approvisionner l’économie nationale et nourrir les villes, exporter à travers le monde, etc... L’intérêt de ces regards croisés de part et d'autre de la Méditerranée est de servir le développement pastoral et d’affirmer la légitimité du pastoralisme ou des pastoralismes à travers le monde. On aura compris qu’au-delà de ces convergences que nous nous sommes appliqués à souligner, le développement des sociétés pastorales requiert évidemment des approches spécifiques. 

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