Les aires protégées : un espoir en pleine 6ème extinction de masse

Le monde entre dans la plus grande extinction de masse depuis la disparition des dinosaures il y a 65 millions d’années. Il est temps pour l’UICN et la communauté mondiale de la conservation qu’elle représente de prioriser les actions nécessaires en faveur de la conservation. Les parcs nationaux et autres aires protégées doivent être au centre de nos efforts, mais les pays les plus pauvres étant financièrement incapables de les entretenir, il est essentiel que nous trouvions des solutions efficaces impliquant les terres privées et publiques – écrit le célèbre conservationniste kenyan et Parrain de la nature de l’UICN Richard Leakey, alors que l’UICN fête cette année son 70ème anniversaire.

Zèbres et gnous dans le cratère du Ngorongoro, Tanzanie.

 

Au vu des circonstances actuelles, il me semble difficile de proposer un ensemble de priorités sur ce que nous devons faire pour notre planète. Néanmoins, je suis absolument convaincu que l’impact du changement climatique sera fondamental dans l'évolution du monde que nous connaissons. Nos attentes universelles pour un futur meilleur, basées sur la croissance économique, sont probablement une illusion pour la majorité des humains, et j’oserais même dire pour presque toutes les formes de vie terrestre et aquatique. Ce scénario n’est certainement pas nouveau pour la planète Terre, mais il est complètement nouveau pour les humains qui n’ont jamais vu ou vécu d’extinction de masse impulsée par le climat. 

La sixième extinction de masse et l'espèce humaine

En plus de cette situation extraordinaire, nous sommes désormais conscients des extinctions de masse précédentes – nous continuons à renseigner l’histoire géologique de la planète, où les preuves du changement climatique et ses conséquences sont sans appel. Nous semblons être paralysés par ces messages sombres, et absolument pas disposés de manière générale à faire le lien avec le phénomène en cours : une sixième extinction de masse. L’idée que nous pourrions être un facteur causal significatif est peu à peu acceptée, mais lentement, et la simple notion que notre propre espèce est très probablement candidate à l’extinction, ainsi que la majorité des autres espèces grandes et petites, est globalement un concept inacceptable. 

Qu’avons-nous prévu pour faire face à l’accélération de la hausse du niveau de la mer liée à la fonte de la calotte glaciaire, lorsque les ports et les villes côtières devront être déplacés ? Avons-nous les moyens de les déplacer ? Ce n’est pas une question pour les générations non-nées et inconnues d’humains : c’est un problème qui affectera probablement la jeune génération d’aujourd’hui. Mes petits-enfants auront des enfants qui ne connaîtront peut-être pas Boston, Miami, Mombasa, Sydney ou les milliers d’autres villes situées sur le littoral. Ces villes seront probablement sous l’eau à cause de la hausse du niveau de la mer, qui pourrait aller jusqu’à 30 mètres au cours des cent prochaines années – et je ne parle pas de milliers d’années ! Alors quels conseils nous, Parrains de la nature, pouvons-nous proposer pour protéger la nature partout sur notre bonne vieille Terre ?

Je suis de plus en plus convaincu que dans les pays tropicaux, et notamment les pays les plus pauvres, vouloir protéger la nature partout est un effort dont les rendements sont décroissants. Je pense que les aires protégées (c’est-à-dire les zones de terres séparées par les gouvernements et régies par des statuts nationaux) comme les parcs nationaux et les forêts nationales constituent les meilleurs objectifs si l’on veut protéger la nature. 

Initiatives communautaires de conservation ou parcs nationaux ?

Bien que je comprenne – et salue – la nouvelle vague d’initiatives communautaires de conservation et les réserves d’espèces sauvages, je me vois obligé de me demander si ces efforts pourront perdurer sur le plus long terme – ne serait-ce que 50 ans. Les fonds privés plutôt que publics doivent être la colonne vertébrale de toute entreprise non-gouvernementale et dans les pays pauvres, la richesse privée et les investissements à but non-lucratif sont difficiles à maintenir. 

Les terres réservées à la vie sauvage appartenant à l’Etat, et désignées sous l’appellation parcs nationaux, sont vitales, mais dans certains pays les terres privées peuvent également être sécurisées par la législation nationale qui autorise la propriété privée de titres fonciers. Un individu peut donc utiliser ses terres pour protéger la faune sauvage et la nature, pour la durée de son titre, et cela peut être aussi sécurisé qu'un parc national. Certains pays n’ont pas de disposition constitutionnelle permettant la propriété privée des terres, et l’occupation et l’utilisation des terres sont alors réglementées par des baux. Pour la conservation, il s’agit certainement d'une meilleure option que d’avoir des terres appartenant à des groupes ou des communautés où, sur la durée, la vie sauvage peut devenir indéfendable au vu des accords de gouvernance sur les biens appartenant à la communauté. 

u Kenya, que je connais bien, il y a actuellement un potentiel croissant de conflits. Des réserves appartenant à des groupes veulent tirer un revenu rapide de leur bien, et le tourisme écologique est un fruit à portée de main. Lorsque les « familles propriétaires » gagnent de l’argent et peuvent améliorer leurs maisons, payer les frais de scolarité, de santé, ils s’attendent à ce que l’argent tiré des billets d’entrée, les nuitées dans les hôtels, etc. augmente également. Mais l’excès de touristes et le surpeuplement des installations deviennent un problème, comme les prix qui augmentent et, enfin, l’utilisation des terres pour la « conservation » n’est plus la poule aux œufs d’or du début. Avec plus d’enfants, il faut plus de billets d’entrée, pour un meilleur enseignement il faut dépenser plus d’argent… et les besoins en espèces excèdent rapidement les revenus réalistes sur le long terme. Ce système peut fonctionner pendant 30 ans, mais guère plus. Qu’est-il donc arrivé à notre objectif initial de protection de la nature sur les réserves de terres communautaires ?

Nos efforts doivent se concentrer sans aucun doute sur les parcs nationaux et les forêts nationales.

Sur les terres privées appartenant à des individus grâce à des titres fonciers, la situation coût/avantage peut être plus facilement analysable, et un élément de la protection de la nature à long terme est possible et peut fournir à certaines espèces des perspectives de survie raisonnables. Ce n’est pas, cependant, une stratégie réaliste au niveau mondial. 

Permettez-moi de revenir aux parcs nationaux et aux forêts nationales. C’est là, sans aucun doute, que nos efforts doivent se concentrer. Je pense qu’il est urgent que nous étudions de quelle manière conduire une nouvelle initiative afin de mieux sécuriser ces aires protégées. Laisser cette tâche ardue à chaque gouvernement est irréaliste, au vu de la pauvreté et du déséquilibre terrible entre les besoins des populations et les besoins de la nature.

Il est peut-être temps que les Parrains de la nature mettent en avant, encore une fois, l’idée que le monde ne peut pas se permettre de perdre ses aires protégées. En même temps, nous devons accepter que les économies les plus pauvres n’aient pas les moyens de payer les mesures pour les protéger. Sauvegarder les espèces menacées est un exercice d’appel de fonds et de relations publiques à court terme qui, même si ses effets sont positifs, ne répond pas à la vraie question. Il est irréaliste de vouloir protéger la nature partout et pour toujours, et il est temps de prioriser nos efforts. La gamme des initiatives en matière de conservation doit être classée et priorisée par une évaluation scientifique de la crise à laquelle nous sommes confrontés. Le changement du climat signifie que tout change, et lorsque l’humanité commencera à voir les villes côtières s’enfoncer dans l’eau avec leurs économies, la voix de la nature sera peu audible - voire totalement muette. 

Je crois que l’UICN et nous, les Parrains de la nature, pouvons nous mesurer à ce défi mais à vrai dire, j’ai aussi peur de devoir poser une dernière question - le pouvons-nous vraiment ? 

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